Chaque question dans sa juste dimension
(…) Que Schuon ait été un «métaphysicien-né», qu’il ait même sans doute été «le grand métaphysicien du XXe siècle», comme l’a dit Jean Biès, toute son oeuvre est là pour en témoigner.
L’étude dépassionnée de cette oeuvre — qui demeurera quoi qu’il en soit, pour reprendre une expression de Jacques Viret, «l’un des fleurons intellectuels de notre siècle» — montrera qu’elle s’apparente à celles de plus grands auteurs spirituels de tous les temps.
Même dans l’univers traditionnel, la limpidité de l’enseignement schuonien détonne. S’il n’éprouve en effet nul besoin de bâtir sa démonstration sur un savant appareil de notes chargées de références, on ne prend pas non plus Schuon en défaut: tout ce qu’il avance peut être vérifié. Autodidacte de génie, un peu comme le prophète Mohammed était «illettré», il n’a pas été modelé par un quelconque enseignement universitaire et c’est cette légèreté, cette liberté de ton, cette spontanéité de source vive que fascinent de prime abord dans ses écrits. (…)
Ce qui constitue néanmoins la vraie singularité de Schuon — mais aussi dans une certaine mesure celle de Guénon auparavant — c’est d’avoir su renouer avec la dialectique des grands anciens — des Platon, Shankara, Eckhart, Ibn Arabî — en se saisissant, en pur métaphysicien, du génie de l’expression védantine pour offrir à cent lieues du fatras occultiste ou du pathos théologico-philosophique une éblouissante synthèse de ce qui constitue l’unanimité des perspectives métaphysiques, d’en discerner l’«oecuménisme ésotérique» mais aussi d’en rappeler par là même leurs vertus opératives.
Tirant bénéfice de l’éclatement de mondes jusqu’alors clos, il saura magistralement et avec une clarté sans égale «fournir à quelques-uns des clés renouvelées — plus différenciées et plus réflexives que les anciennes mais non meilleures — pour les aider à redécouvrir des vérités qui sont inscrites, d’une écriture éternelle, dans la substance même de l’esprit».[1]
Schuon épure les données traditionnelles, en dissipe les contradictions apparentes et en distille lumineusement l’essentiel, refuse de se laisser enfermer dans les «méandres de la théologie» et ne se considère pas comme le «croyant» d’une religion donnée mais comme un «ésoteriste plénier»: «Seule la perspective sapientielle est un ésotérisme au sens absolu, ou autrement dit, elle seule est nécessairement et intégralement ésotérique, parce qu’elle seule dépasse les relativités».
Critiquant les faiblesses originelles des systèmes philosophiques classiques ou modernes et abordant méthodiquement toutes les questions théologiques et exotériques indéfiniment débattues, il développe une somme métaphysique dont le caractère «direct, rigoureux, explicite et intégral» laisse un sentiment d’insurpassabilité. Dans un perpétuel souci d’équité, Schuon s’efforce de ramener chaque question à sa juste dimension. Les notions les plus complexes comme celles de Sur-être ou de Mâyâ, le problème du Mal, la question de l’intuition intellectuelle ou du caractère théophanique de l’intelligence, par exemple, sont magistralement explicitées ou élucidées.
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[1] Avant-propos de Comprendre l’Islam. [N.B: Certaines notes du texte original ont été supprimées dans cette édition en ligne.]
Extrait de «Un portrait spirituel», de Jean-Baptiste Aymard,
dans Frithjof Schuon – Les Dossiers H,
Édition L’Age d’Homme, 2002, pp. 30-32
Une theoria qui résonne au plus profond de l’être
(…) Pour Schuon, l’étude de la tradition a signifié, avant tout, l’étude de la religion dans un cadre métaphysique (…) [Il] évolue dans un univers sans limites, se souciant de la vie spirituelle sous tous ses aspects. Il a écrit sur la religion dans toutes ses dimensions: doctrinale, éthique, psychologique, historique, sociale, esthétique, etc. Il est également à l’aise avec les subtilités les plus absconses de, disons, l’exposition d’Eckhart sur la connaissance métaphysique, et les simples piétés d’un paysan européen.
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Les écrits de Schuon sont tous régis par un ensemble immuable de principes métaphysiques. Ils ne présentent rien d’un «développement» ou d’une «évolution», mais sont plutôt des réaffirmations des mêmes principes à partir de points de vue différents et appliqués à des phénomènes divergents. Plus qu’avec Guénon ou Coomaraswamy, on sent que la vision de Schuon était complète dès le départ. Le terme «érudition» n’est pas approprié: il ne s’agit pas d’un apprentissage livresque. Schuon a beaucoup voyagé, en particulier avant la guerre, et a entretenu des relations étroites avec les représentants de toutes les grandes traditions religieuses. Il connaît non seulement un éventail encyclopédique de manifestations religieuses et de traditions sapientielles, mais les comprend d’une manière que, faute d’un meilleur mot, nous ne pouvons qu’appeler intuitive. Ses écrits dans ce domaine sont sans égal. Toute l’œuvre de Schuon porte sur une réaffirmation des principes métaphysiques traditionnels, sur une explication des dimensions ésotériques de la religion, sur la pénétration des formes mythologiques et religieuses, et sur la critique d’un modernisme soit indifférent, soit ouvertement hostile à les principes qui informent toutes les sagesses traditionnelles.
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Il y a une noblesse d’esprit dans l’œuvre de Schuon qui en fait bien plus qu’un corpus d’idées dominant: c’est une theoria profondément émouvante qui résonne au plus profond de l’être. Sans aucun doute, il est le métaphysicien le plus sublime de l’époque. Ce n’est pas sans raison que Whitall Perry a comparé l’œuvre de Schuon à celle de Platon et de Shankaracharya. (…)
Extraits de A Sage for the Times: The Role and the Oeuvre of Frithjof Schuon,
par Harry Oldmeadow, Sophia (Washington DC), 4:2, winter.