Sommaire
- Dieu peut abolir «tel mal», mais non le «mal comme tel»
- Dans l’Univers total le mal se réduit à un accident furtif
- Le mal comme tel disparaît en vertu des cycles cosmiques
- Dieu compense le mal par un plus grand bien
- Le mal est la privation d’un bien
- Dieu n’est pas puissant sur le mal comme tel
- Il y a dans le mal le mystère de l’absurde
- Le mal ne saurait pénétrer dans l’ordre céleste
- Le mal participe au bien de diverses manières
- Le pur bonheur n’est pas pour cette vie
- Le grand mal pour l’homme est de douter de la Miséricorde
- Le mal n’est pour Dieu qu’un aspect fragmentaire d’un bien
- L’Infini doit se nier apparemment Lui-même
- L’imperfection ne peut pas ne pas exister
- Le bien, c’est une totalité comportant du mal et le neutralisant
- Un chapitre entier sur la question du mal
Dieu peut abolir «tel mal», mais non le «mal comme tel»
Selon un fameux argument, de deux choses l’une: ou bien Dieu veut abolir le mal mais ne le peut pas, et alors Il n’est pas tout-puissant; ou bien il peut abolir le mal mais ne le veut pas, et alors Il n’est pas bon. Nos lecteurs connaissent notre réponse: Dieu peut abolir «tel mal», mais non le «mal comme tel»; tout mal, mais non la possibilité même du mal. Car cette possibilité est incluse dans la Toute-Possibilité, sur laquelle Dieu — la Personne créatrice — n’a pas de pouvoir, étant donné que la Toute-Possibilité relève de l’Essence divine même et que l’Essence est «avant» la Personne ; le Sur-Être — ou le Non-Être — est «avant» l’Être; la Divinité suprapersonnelle détermine le Dieu personnel et non inversement.
Schuon, Résumé de métaphysique intégrale, p.41.
Dans l’Univers total le mal se réduit à un accident furtif
Il est dans la nature du bien de se communiquer. Le Sur-Être étant l’Essence de tout bien, — donc étant lui-même le Souverain Bien, — possède la qualité intrinsèque de rayonnement; or rayonner, c’est d’une part communiquer un bien, et d’autre part s’éloigner de sa source; tout bien que le monde nous offre vient du rayonnement, tout mal vient de l’éloignement. Mais le bien du rayonnement compense le mal de l’éloignement, et il le prouve par l’Apocatastase, laquelle ramène tout mal au Bien initial; dans l’Univers total et dans le jeu des cycles cosmiques, le mal se réduit à un accident furtif, quelle que soit son importance pour les êtres qui le subissent ou qui en sont témoins.
Schuon, Résumé de métaphysique intégrale, p.41.
Le mal comme tel disparaît en vertu des cycles cosmiques
Si Dieu était bon, raisonnent les athées et même certains déistes, il abolirait le mal. Nous avons à cela deux réponses, et on connaît la première: Dieu ne saurait abolir le mal comme tel puisque celui-ci relève ontologiquement de la Toute-Possibilité qui, elle, est ontologiquement «antérieure» au Dieu-Personne; par conséquent, Dieu ne peut abolir tel mal que dans la mesure où, en le faisant, il tient compte de la nécessité métaphysique du mal en soi. Notre seconde réponse dépasse en quelque sorte la première, au point de paraître la contredire: Dieu étant bon, il abolit en fait, non pas seulement tel mal, mais aussi le mal comme tel; tel mal parce que toute chose a une fin, et le mal comme tel parce que celui-ci — étant soumis à la même règle en fin de compte — disparaît en vertu des cycles cosmiques et par l’effet de l’Apocatatase; aussi la formule vincit omnia Veritas s’applique-t-elle non seulement à la Vérité, mais également au Bien sous tous ses aspects. Et ceci signifie également qu’il ne saurait y avoir aucune symétrie entre le Bien et le mal; celui-ci n’a aucun être par lui-même, tandis que celui-là est l’être de toute chose. Le Bien est Ce qui est; Être et Bien coïncident.
Schuon, Résumé de métaphysique intégrale, p.45-46.
Dieu compense le mal par un plus grand bien
Quand Dieu semble faire ce qui, de la part de l’homme, serait un mal, Il le compense par un plus grand bien, un peu comme la guérison compense l’amertume du remède; ceci résulte nécessairement du fait que Dieu est l’absolu Bien et qu’il comporte par conséquent dans sa nature une qualité compensatoire qui exclut le mal en tant que tel…
Schuon, L’ésotérisme comme principe et comme voie, p.80.
Le mal est la privation d’un bien
Exotériquement parlant, Dieu «permet» le mal en vue d’un plus grand bien, ce qui est incontestable mais ce qui n’est pas suffisant, car un Dieu «omnipotent» pourrait rendre inutile a priori cette nécessité de permettre le mal, en abolissant le mal précisément. La solution ésotérique est d’un ordre tout différent: c’est-à-dire qu’au point de vue de la Subjectivité divine, la Volonté qui veut le mal n’est pas la même que celle qui veut le bien; au point de vue de l’objet cosmique, Dieu ne veut pas le mal en tant que mal, Il le veut en tant qu’élément constitutif d’un bien, donc en tant que bien. D’un autre côté, le mal n’est jamais tel par sa substance existentielle, par définition voulue de Dieu; il ne l’est que par l’accident cosmique d’une privation d’un bien, voulu de Dieu à titre d’élément indirect d’un plus grand bien…
Schuon, L’ésotérisme comme principe et comme voie, p.80-81.
Dieu n’est pas puissant sur le mal comme tel
Bien des théologiens de l’Islam, et non des moindres, estiment que Dieu veut le mal parce que, disent-ils, s’Il ne le voulait pas, le mal n’arriverait pas; car si Dieu ne voulait pas le mal alors que le mal se produit malgré cela, Dieu serait faible ou impuissant; or Dieu est tout-puissant. Ce que ces penseurs ignorent manifestement, c’est d’une part la distinction entre le «mal comme tel» et «tel mal» et, d’autre part, entre la subjectivité de la divine Essence et celle de la divine Personne: car la divine Personne est toute-puissante à l’égard du monde, mais non à l’égard de sa propre Essence; elle ne peut empêcher ce que celle-ci exige, à savoir le rayonnement cosmogonique et les conséquences qu’il entraîne, c’est-à-dire l’éloignement, la différenciation, la contrastation et, en fin de compte, le phénomène du mal; ce qui revient à dire — nous le répétons — que Dieu est puissant sur tel mal, mais non sur le mal comme tel…
Schuon, Sur les traces de la Religion pérenne, p. 33.
Il y a dans le mal le mystère de l’absurde
La grande énigme — au point de vue humain — est la question de savoir, non pourquoi le mal comme tel est possible, mais que signifie la possibilité de tel mal; on peut comprendre le mal abstraitement, mais non concrètement — sauf dans certaines catégories de cas dont la logique est transparente [1] — alors qu’on peut comprendre le bien sous toutes ses formes, c’est-à-dire qu’on en saisit sans aucune peine la possibilité ou la nécessité. C’est qu’il y a dans le mal tout le mystère de l’absurde, et celui-ci coïncide avec l’inintelligible; il ne nous reste alors qu’à nous référer à la notion de Toute-Possibilité, mais alors nous sommes de nouveau dans l’abstrait; phénoménologiquement parlant, non sous le rapport de l’intellection et de la contemplation. La Toute-Possibilité est une chose, ses contenus en sont une autre (…)
(…) le mal devient incompréhensible dans la mesure où il est particulier: la possibilité du laid par exemple est saisissable, mais qu’il puisse y avoir telle laideur n’est pas évident, qu’elle soit physique ou morale (…) Une clé pour l’énigme du mal en général est cette fatalité cosmogonique: où il y a forme, il y a non seulement différence, mais aussi possibilité d’opposition effective, suivant le niveau même de coagulation formelle.
[1] Ne pas oublier que certains maux, les fléaux de la nature par exemple, ne sont pas des maux en soi, puisque les éléments qui les provoquent, sont des biens; n’empêche que les dégâts, sur le plan humain, ne manifestent rien de positif, tout en ne constituant pas un mal intrinsèque.
Schuon, Sur les traces de la Religion pérenne, p. 50-51.
Le mal ne saurait pénétrer dans l’ordre céleste
Aucun mal ne saurait pénétrer dans l’ordre céleste. Le mal, loin de constituer la moitié du possible — il n’y a point de symétrie entre le bien et le mal —, se trouve limité par l’espace et le temps au point de se réduire à une quantité infime dans l’économie de l’Univers total; il en est nécessairement ainsi puisque «la Miséricorde enveloppe toute chose»; et vincit omnia Veritas.
Schuon, Racines de la condition humaine, p. 163.
Le mal participe au bien de diverses manières
Le mal participe au bien de diverses manières; premièrement par son existence en tant celle-ci manifeste l’Être, donc le Souverain Bien; deuxièmement au contraire par sa disparition, car la victoire sur le mal est un bien et il n’est possible que par la présence d’un mal; troisièmement le mal peut participer au bien à titre d’instrument, car il arrive qu’un mal collabore à l’élaboration d’un bien; quatrièmement, cette participation peut consister dans l’accentuation d’un bien par le contraste entre lui et son contraire. Enfin, les phénomènes négatifs ou privatifs manifestent la «capacité» de Dieu de se contredire en quelque sorte, et cette possibilité est exigée par la perfection même de l’Être; mais comme disait Maître Eckhart, «plus il blasphème et plus il loue Dieu». Il arrive du reste que le bien et le mal se mélangent, d’où une possibilité d’un «moindre mal» ou d’un «moindre bien»; ce qui coïncide avec la notion même de la relativité. Quant à la question de savoir pourquoi une possibilité est possible, elle est, ou bien sans réponse, ou bien résolue d’avance par l’axiome de la Toute-Possibilité immanente à l’Être, laquelle par définition est sans limites; fort paradoxalement, on peut dire que la Toute-Possibilité ne serait pas ce qu’elle est si elle ne réalisait d’une certaine manière l’impossibilité.
Schuon, Racines de la condition humaine, p. 165-166.
Le pur bonheur n’est pas pour cette vie
Il faut accepter la «volonté de Dieu» quand le mal entre dans le destin et qu’il n’est pas possible de lui échapper (…) en cas de rencontre avec le mal — et nous devons à Dieu et à nous-mêmes de nous maintenir dans la Paix — nous pouvons utiliser les arguments suivants. Premièrement, aucun mal ne peut infirmer le Souverain Bien ni ne doit troubler notre rapport avec Dieu; nous ne devons jamais perdre de vue, au contact avec l’absurde, les valeurs absolues. Deuxièmement, nous devons avoir conscience de la nécessité métaphysique du mal; «il faut que le scandale arrive». Troisièmement, ne perdons pas de vue les limites du mal ni sa relativité; car Dieu aura le dernier mot. Quatrièmement, il faut de toute évidence se résigner à la volonté de Dieu, c’est-à-dire à notre destin; le destin, par définition, est ce que nous ne pouvons pas ne point rencontrer, et il est ainsi un aspect de nous-mêmes. Cinquièmement — et cela résulte de l’argument précédent — Dieu veut éprouver notre foi, donc aussi notre sincérité et notre patience, sans oublier notre gratitude; c’est pour cela qu’on parle des «épreuves de la vie». Sixièmement, Dieu ne nous demandera pas de comptes pour ce que font les autres, ni pour ce qui nous arrive sans que nous en soyons directement responsables; il ne nous demandera de comptes que pour ce que nous faisons nous-mêmes. Septièmement enfin, le pur bonheur n’est pas pour cette vie, il est pour l’autre; la perfection n’est pas de ce monde, mais ce monde n’est pas tout, et le dernier mot est à la Béatitude.
Schuon, Racines de la condition humaine, p. 170-171.
Le grand mal pour l’homme est de douter de la Miséricorde
(…) le grand mal, pour l’homme, ce n’est pas seulement de s’éloigner de Dieu, c’est aussi de douter de sa Miséricorde. C’est ignorer qu’au fond même de l’abîme la corde de sauvetage est toujours là: la Main divine est tendue, pourvu que nous ayons l’humilité et la foi qui nous permettent de la saisir. La projection cosmique éloigne de Dieu, mais cet éloignement ne peut rien avoir d’absolu; le Centre est partout présent.
Schuon, Le jeu des masques, p. 33-34.
Le mal n’est pour Dieu qu’un aspect fragmentaire d’un bien
Quand on affirme que «Dieu est au-delà de l’opposition entre le bien et le mal», cela signifie, non que pour Dieu le mal n’existe pas en tant que tel, mais que Dieu voit les choses sous tous les rapports les concernant et que par conséquent le mal n’est pour Dieu qu’un aspect fragmentaire, provisoire et tout extrinsèque d’un bien qui le compense et finalement l’anéantit.
Schuon, Le jeu des masques, p. 38.
L’Infini doit se nier apparemment Lui-même
Ésotériquement, le «problème» du «mal» se réduit à deux questions: Premièrement, pourquoi le créé implique-t-il nécessairement l’imperfection? et, deuxièmement, pourquoi le créé existe-t-il? À la première de ces questions il faut répondre que s’il n’y avait pas d’imperfection dans la création, rien ne distinguerait cette dernière du Créateur, ou, en d’autres termes, elle ne serait pas l’effet ou la manifestation, mais la Cause ou le Principe; et à la seconde question nous répondrons que la création (ou manifestation) est rigoureusement impliquée dans l’infinité du Principe, en ce sens qu’elle en est comme un aspect ou une conséquence, ce qui revient à dire que si le monde n’existait pas, l’Infini ne serait pas l’Infini; car pour être ce qu’il est, l’Infini doit se nier apparemment et symboliquement Lui-même, et c’est ce qui a lieu par la manifestation universelle.
Schuon, De l’unité transcendante des Religions, p. 66.
L’imperfection ne peut pas ne pas exister
Le monde ne peut pas ne pas exister, puisqu’il est un aspect possible, donc nécessaire, de l’absolue nécessité de l’Être; l’imperfection, elle non plus, ne peut pas ne pas exister, puisqu’elle est un aspect de l’existence même du monde; l’existence du monde se trouve rigoureusement impliquée dans l’infinité du Principe divin et, de même, l’existence du mal est impliquée dans l’existence du monde. Dieu est Toute-Bonté, et le monde en est l’image; mais comme l’image ne saurait, par définition, être Ce qu’elle représente, le monde doit être limité par rapport à la Bonté divine, d’où l’imperfection dans l’existence; les imperfections ne sont pas autre chose, par conséquent, que des sortes de «fissures» dans l’image de la Toute-Perfection divine, et de toute évidence elles ne proviennent pas de cette Perfection, mais du caractère nécessairement relatif ou secondaire de l’image. La manifestation implique par définition l’imperfection, comme l’Infini implique par définition la manifestation; ce ternaire, «Infini, manifestation, imperfection», constitue la formule explicative même de tout ce que l’esprit humain peut trouver de «problématique» dans les vicissitudes de l’existence (…)
Schuon, De l’unité transcendante des Religions, p. 66.
Le bien, c’est une totalité comportant du mal et le neutralisant
Maintenant, si nous partons de l’idée que, métaphysiquement, il n’y a pas de «mal» à proprement parler, que tout est simplement question de fonction et d’aspect, nous devons préciser: l’être mauvais est un fragment nécessaire d’un bien — ou d’un équilibre — qui le dépasse incommensurablement, tandis que l’être bon est lui-même un bien, et le mal n’est chez lui que fragmentaire. Le mal, c’est le fragment d’un bien, et le bien, c’est une totalité comportant du mal, et le neutralisant par son caractère même de totalité.
Schuon, Images de l’esprit, p. 137.
Un chapitre entier sur la question du mal
[Dans Forme et Substance dans les Religions, il y a un chapitre entier sur la question du mal: «La question des théodicées» où l’auteur présente les diverses théories que la philosophie et la théologie occidentales ont élaboré à propos du mal: Épicure, les stoïciens, Leibniz, Platon, Aristote, Plotin, Origène, Saint Thomas, etc…]
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