Logique et transcendance, de Frithjof Schuon. Première édition: Les Editions Traditionnelles, 1970. (Image: édition de 2007.)


Ce livre est sans doute, après De l’unité transcendante des Religions, le livre le plus important pour aborder avec sérieux la pensée de Frithjof Schuon. Il comporte des chapitres de nature plus “philosophique” qui aideront le lecteur enclin à satisfaire son légitime besoin de logique, à faire le tri dans cette “Tour de Babel” qu’est la pensée moderne.

L’introduction passe en revue un certain nombre de termes prêtant à équivoque tels que occultisme, gnosticisme, mysticisme, syncrétisme, intellectualisme, ésotérisme etc… Cette mise au point est un parfait complément à tout ce que René Guénon avait écrit à ce sujet. Mais le livre se veut “opératif” en ce sens qu’il se présente comme un coup d’épée fatal (entendons un discernement implacable), aux principales erreurs qui empoisonnent la vie moderne, à savoir, le relativisme, le psychologisme, le matérialisme concrétiste, le scientisme, l’évolutionnisme, l’existentialisme, etc… Il s’y trouve même des arguments qui ne sont jamais venus à l’idée des philosophes des derniers siècles, peut-être parce qu’ils sont trop simples et trop vrais, telle cette évidence que “le relativisme consiste en fait à déclarer qu’il est vrai qu’il n’y a pas de vérité!” 

Le psychologisme est une cible particulièrement importante dans l’œuvre de Schuon, car il se retrouve dans plusieurs de ces livres, sous des aspects toujours plus instructifs. C’est surtout de la psychanalyse (l’auteur parle à cette époque essentiellement du freudisme) qu’il s’agit, elle qui s’arroge dans bien des cas la place du prêtre mais sans avoir le “mandat du Ciel” et qui, selon l’expression de l’auteur “permet de pécher calmement, avec assurance, et de se damner avec sérénité!” Et quand celle-ci envahit la religion et la spiritualité, on peut deviner les dégâts qu’elle peut  faire. 

Sur un plan plus philosophique, plusieurs théories épistémologiques sont passées en revue, celle de Kierkegaard, celle de Kant, celle des rationalistes et des sensualistes; enfin l’existentialisme, cet “ésotérisme de la sottise”, y est pourfendu sans pitié, avec vigueur et noblesse. On se sent comme soulagé, à la fin de la lecture de ces chapitres, de tout un fatras de théories qui sont enfin révélées sous leur vrai jour. “Connaissez la Vérité, dit l’Évangile, et la Vérité vous rendra libre”. C’est ce sentiment de liberté et de fraîcheur renouvelée qui se dégage dans l’esprit du lecteur, enfin prêt à voir les choses objectivement et à en vivre en toute liberté, précisément. 

Pour le croyant ou le théologien qui doit faire face aux sarcasmes ou tout simplement aux “questions” de l’athée, le chapitre “Des preuves de Dieu” permet de mettre de l’ordre dans sa pensée. Après avoir rappelé qu’une preuve absolue serait ce qui resterait à prouver et qu’il n’y a aucune raison à ce que ce soit toujours le croyant qui doive “prouver” l’existence de Dieu (quelles raisons l’athée donne-t-il de l’inexistence de Dieu?), Schuon expose les principales preuves de Dieu (preuve ontologique, cosmologique, téléologique, esthétique, expérimentale et phénoménale) et montre comment celles-ci sont toujours aussi valides pour les hommes qui ont des besoins de causalité légitimes.

Quant aux scientistes prométhéens et aux évolutionnistes matérialistes ou religieux (Teilhard de Chardin), ils sont l’occasion d’une remarquable digression sur la science moderne qui présente une vigoureuse critique de ses axiomes. Il est difficile, après la lecture de ces textes, de se laisser envoûté par les mirages de la science et du progrès technique, non parce que ceux-ci ne représenteraient pas quelque chose de réel à leur niveau mais à cause de leur répercussion négative incalculable sur l’ensemble de l’humanité. Schuon ne cherche jamais, dans ces livres, à réconcilier la religion et la science et la technique, dans la mesure où ces dernières ne vivent précisément que de leur “refus de la seule chose nécessaire”. 

Ce livre contient bien d’autres perles (voir ci-dessous), mais nous pensons avoir suffisamment suggéré l’intérêt qu’il représente pour le chercheur sincère.


Chapitres de Logique et transcendance

  • Introduction
  • La contradiction du relativisme
  • Abus des notions du concret et de l’abstrait
  • Rationalisme réel et apparent
  • Des preuves de Dieu
  • L’argument de la Substance
  • Évidence et mystère
  • La dialectique orientale et son enracinement dans la Foi
  • Le démiurge dans la mythologie Nord-Américaine
  • Alchimie des sentiments
  • Le symbolisme du sablier
  • Le problème des qualifications
  • Des concomitances de l’Amour de Dieu
  • Comprendre et croire
  • Le serviteur et l’union
  • Nature et fonction du maître spirituel
  • Le délivré et l’image divine
  • Vérités et erreurs sur la beauté
  • Le vœu de Dharmakara
  • L’homme et la certitude

Liste des principaux thèmes abordés dans chaque chapitre

Introduction

  • Ésotérisme n’est ni gnosticisme, ni occultisme, ni mysticisme, ni syncrétisme, ni intellectualisme
  • Notion “pro domo” de l’ésotérisme
  • Fondamentalisme (croyants littéralistes)

La contradiction du relativisme

  • Définition du relativisme
  • Formes de relativisme
  • Relativisme social, historique, psychologique (freudisme, psychanalyse)
  • Définition de ce que devrait être toute science de l’âme
  • La pensée psychologisante
  • Le relativisme moral
  • Réduction des attitudes religieuses à de l’infantilisme
  • Relativisme et esprit de révolte
  • Le programme du psychologisme (= ne pas vouloir se dépasser)

Abus des notions du concret et de l’abstrait

  • Définition de l’abstrait
  • Nominalistes et réalistes médiévaux
  • Abstraction des phénomènes de l’existence, notion d’Être
  • Notion de liberté, de justice, d’intelligence, de puissance, de beauté
  • La notion de laideur et de vice est différente
  • Contre les modernes concrétistes
  • L’existence kierkegaardienne
  • L’esprit d’alternative des occidentaux
  • L’existentialisme, ésotérisme de la sottise
  • Les penseurs philosophes
  • Le concrétisme = prendre la moyenne pour la norme
  • Le concrétisme matérialiste
  • Le concrétisme religieux
  • Le factisme – la superstition du fait
  • Le concrétisme philosophique
  • “Spéculations dans l’abstrait” ?

Rationalisme réel et apparent

  • Définition de l’efficacité des raisonnements
  • Définition du rationalisme intégral
  • La raison, détachée de l’intellect, donne lieu à l’individualisme et à l’arbitraire
  • Kant et le sensualisme
  • Kant et les catégories d’Aristote
  • Kant et la notion des “sophistications”
  • L’erreur initiale du criticisme
  • L’orgueilleuse inconscience des philosophes modernes
  • Rationalisme grec et dogmatisme oriental
  • L’illusion dogmatique de vouloir partir de zéro
  • Les spéculations relativistes sur la “chose en soi”
  • Agnosticisme
  • Assassinat de l’intelligence par les philosophes modernes
  • Platon n’est pas un rationaliste
  • Aristote, rationaliste de principe mais non de fait
  • Usage de la logique en théologie
  • Hellénistes et Chrétiens
  • Limites de la pensée théologique (exotérique)

Des preuves de Dieu

  • Définition des preuves classiques de Dieu
  • La preuve métaphysique (l’intelligence humaine coïncide en son essence
    avec la certitude de l’Absolu)
  • Pourquoi les incroyants n’auraient-ils pas à prouver l’inexistence de Dieu?
  • La preuve ontologique (St. Anselme)
  • La preuve cosmologique (Aristote, Platon)
  • La preuve téléologique (et morale) de Socrate
  • La preuve expérimentale ou mystique
  • Contre la science moderne, l’évolutionnisme, les esprits prométhéens
  • S’offusquer du caractère anthropomorphique du Dieu biblique?
  • La preuve phénoménale (le miracle)

L’argument de la Substance

  • Bien et Être coïncident
  • Accident, Substance
  • Se révolter ou se conformer
  • Panthéisme
  • Substance, dans le bouddhisme
  • La Loi du Karma: le retour de l’accident à la substance
  • L’élu et le damné
  • Le péché en son essence
  • La “réalité” du monde
  • L’intuition prélogique de la substance
  • L’homme extérieur et l’homme intérieur
  • Le rapport “substance-accident” sur le plan de la pensée

Évidence et mystère

  • La “creatio ex nihilo” et l’idée d’émanation
  • Le soi-disant caractère “naturel” de l’intelligence en soi
  • Créationnisme et Trinitarisme
  • Évolutionnisme
  • Théologie de la transsubstantiation
  • Théologie trinitaire, raisonnement et mystère
  • Long exposé sur la Trinité, avec plusieurs interprétations métaphysiques
  • Le “Notre Père”
  • De la logique au symbolisme

La dialectique orientale et son enracinement dans la foi

  • Comparaison des littératures d’Occident et d’Orient
  • Absence de sens critique, excès de langage
  • Caractère symboliste et implicite de la dialectique orientale
  • Hénothéisme – Obédientalisme
  • Humilitarisme chrétien ; intelligence et orgueil
  • Fidéisme et gnose
  • L’inspirationisme
  • L’hagiographie musulmane et absurdités, historicités des récits
  • Le poison du doute
  • L’individualisme volontariste et émotionnel du soufisme moyen
  • Zèle de la foi/Sens critique : les saints illogismes
  • Digression sur la machine et le scientisme
    Caractère elliptique ou synthétique des expressions de la Révélation,
    embellissement ornemental, tendance à l’occultation
  • Origine chrétienne du soufisme ?
  • La question des miracles de Mohammed ; généralités sur le miracle
  • L’œuvre d’Ibn Arabi – paradoxale
  • Platoniciens et sémites
  • Inégalités de la pensée théologique qui s’adresse à l’homme passionnel

Le démiurge dans la mythologie nord-américaine

  • Démiurge, héros initiateur et bouffon; son apparence, son mythe énigmatique
  • Racine métaphysique du démiurge
  • L’énigme des prophéties, aspects de “prestidigitation” du démiurge
  • Démence des heyokas

Alchimie des sentiments

  • Place du sentiment dans l’anthropologie spirituelle
  • Propriétés alchimiques des sentiments: joie, tristesse, haine, colère, amour
  • Dépasser les sentiments par ambition?

Le symbolisme du sablier

  • Sablier symbole du temps et de la mort, ou du Ciel et de la Terre
  • La “Porte étroite” —  aspect spirituel du sablier
  • Aspect cosmologique du sablier
  • Aspect métaphysique du sablier

Le problème des qualifications

  • Qualifications pour la gnose (discernement – intériorisation)
  • Obstacles à l’ésotérisme sapientiel
  • Limitation de la qualification chez Aristote
  • Limitation inverse chez les contemplatifs, les orientaux, etc…
  • Qu’est-ce que la morale en soi? Qu’est-ce qu’un bien ou un mal?
  • Les deux sources de la morale: la Loi révélée et la voix de la conscience
  • La morale socratique
  • Les notions hindoues de dharmarita et karma
  • Le dépassement des formes dans la gnose
  • Oecuménisme et conversions entre religions
  • Du connaître à l’être

Des concomitances de l’amour de Dieu

  • Définition de l’amour de Dieu
  • Importance des supports, symbolisme, beauté de la nature vierge et art sacré, amour conjugal
  • Problème de l’amour du prochain
  • “Les femmes, les parfums et la prière”
  • Dieu ni masculin ni féminin?
  • Ascèse et aides sensibles

Comprendre et croire

  • Discernement et concentration
  • Foi et symbole, foi et miracle
  • Démérite de l’incroyance
  • Foi complément stabilisateur de l’intelligence
  • Spéculations et engagement spirituel (foi)
  • Piété et connaissance pure
  • Le sens du sacré
  • Voie sèche, voie humide, voie de connaissance/voie d’amour, feu/eau
  • Vin, feu liquide/eau ignée
  • Religio cordis/Religio Coelis
  • Éclair/Joyau dans le Mahâyâna, Upâya/Prajnâ, Doctrine/Méthode
  • Culte d’une déesse

Le serviteur et l’union

  • La polarité “serviteur-Seigneur”
  • Ce que n’est pas la voie de l’union et ce qu’elle est
  • Théologie monothéiste et ésotérisme sapientiel
  • Le Seigneur et le Soi : l’homme peut parler au Seigneur, mais non le réaliser; il peut réaliser l’Essence ou le Soi, mais non lui parler
  • Le sujet de la réalisation du Soi
  • Le mystère des mystères
  • Union possible ou impossible selon les rapports envisagés
  • Pourquoi désirer plus que le Paradis?

Nature et fonction du maître spirituel

  • Ce que transmet un maître
  • Transmission d’un élément être, d’un élément d’intellection et d’un élément d’amour (Sat, Chit, Ananda)
  • Impossible de s’approcher de Dieu sans la bénédiction et l’aide du Ciel
  • Ce que donne le maître (l’existence, la doctrine et le moyen de concentration)
  • Engagement irréversible de notre don à Dieu
  • Mort anticipée et pertes d’équilibre sur la voie spirituelle (épreuves et tentations)
  • Fonction de “centre immobile” du maître dans ce cas
  • La foi en le maître
  • Toute autorité enseignante n’est pas un maître
  • Le problème du secret: le maître ne livre pas tout ce qu’il connaît
  • Supériorité du symbole dans la réalisation contemplative
  • La fonction du maître peut-elle s’étendre au-delà des frontières d’une religion donnée?
  • Verbiage universaliste et réalisation de l’Essence, deux choses bien différentes
  • Différences de degrés entre maître, prophète, Avataras, abbé bénédictin, apôtre etc..

Le délivré et l’image divine

  • Iconoclasme en Inde et en Islam
  • Images sacrées et présence dans un ashram d’un délivré vivant
  • Fonction véritable des images sacrées
  • Mais cette image doit être conforme aux lois cosmiques de la figuration divine
  • Le but de l’art: transmettre un message spirituel  —  émotions esthétiques
  • Rectitude formelle et contenu dans la beauté
  • But initial didactique de l’art sacré
  • Le naturalisme artistique viole la tradition
  • Entendre la notion d’image en un sens plus large (cas du Maharshi —  notion de shakti)
  • La sagesse est intérieure, l’art est extérieur, mais “les extrêmes se touchent”
  • La théophanie, le plus grand des miracles

Vérités et erreurs sur la beauté

  • La beauté, harmonie de la diversité
  • La beauté d’expression l’emporte-t-elle sur la beauté de forme?
  • La forme prime l’expression
  • Les moralistes et la beauté
  • La beauté se réduit-elle à une simple question de goût?
  • Facteur objectif de la beauté; elle libère, alors que la laideur enferme
  • Archétype de la beauté (son modèle divin)
  • La beauté manifeste une réalité d’amour, de déploiement,
    d’illimitation, d’équilibre, de béatitude, de générosité
  • Rôle naturel du goût (affinité avec telle modalité du beau)
  • Le beau, c’est l’utile ? Deux fois faux…
  • L’esthétisme “classique” et académique : existe-t-il un seul canon, une seule beauté idéale ?
  • Beauté et bonté
  • Beauté et connaissance
  • Beauté et vie spirituelle, conditions normales et conditions dans le monde moderne
  • Étrange absence de la beauté dans toute une civilisation (la moderne)
  • Beauté intérieure: sont-ils des termes contradictoires?

Le vœu du dharmakara

  • La notion de mythe et le récit sacré dans le bouddhisme
  • Exposé du vœu du Bodhisattva Dharmakara
  • Analyse du vœu
  • Qualité salvatrice du Nom d’Amitâbha, intention, pureté du vœu
  • La reine Vaidehi
  • Vide nirvanique et enfance
  • Résumé métaphysique de la question

L’homme et la certitude

  • Caractéristiques essentielles de l’intelligence humaine
  • Rôle de la volonté et liberté
  • Ce qui est certain et ce qui ne l’est pas
  • Ce qui résout l’incertitude humaine