par Patrick Laude
Il est deux principes qui peuvent se réaliser sporadiquement au sein de l’ésotérisme et à divers degrés, mais toujours d’une manière partielle et retenue: le premier est qu’il n’y a au fond qu’une seule religion à diverses formes, parce que l’humanité est une et que l’esprit est un; le second principe est que l’homme porte tout en lui-même, du moins potentiellement, en vertu de l’immanence de la Vérité une.
Schuon, Approches du phénomène religieux, 1984, P.34.
La définition et la portée de la notion d’ésotérisme demeurent au centre d’un débat dans le courant traditionnel, comme il ressort de diverses réactions à la notion de Religio Perennis [1] telle qu’elle a été formulée par Frithjof Schuon. Dans le cadre de cet article, notre intention sera de souligner un certain nombre de points fondamentaux qui ont pu être obscurcis par des suraccentuations simplificatrices ou de pieuses exagérations suscitées par tel ou tel contexte ou telle ou telle opportunité. Notre intention se limitera ainsi à fournir, de manière aussi simple et succincte que possible, une manière de résumé des principales idées exprimées par Frithjof Schuon sur le sujet, tant dans ses livres que dans certains de ses textes non publiés. Il va sans dire que ces quelques paragraphes ne sauraient être exhaustifs et qu’ils ne sauraient avoir comme objectif principal que de renvoyer le lecteur à un examen attentif des textes de Frithjof Schuon eux-mêmes. En outre, il va de soi qu’en de si subtiles matières on peut souhaiter mettre l’accent sur tel ou tel aspect de l’œuvre, et ce aux dépens d’autres aspects et pour diverses raisons d’opportunité. Quoi qu’il en soit, un exposé doctrinal est en partie systématique et en partie indéterminé, [2] ce dernier aspect permettant une pluralité de perspectives sur la signification de la doctrine exposée. Comme cela apparaît clairement à la lecture de certains de ses textes non publiés, Schuon était parfaitement conscient de l’éventail des compréhensions et interprétations légitimes dont son oeuvre était susceptible, en même temps qu’il demeurait tout à fait disposé à admettre le bien-fondé de cette pluralité de points de vue. Ceci dit, il n’était pas moins explicite quant à la nature et à l’envergure de ce qu’il considérait lui-même comme constituant l’intégralité de sa perspective.
Un premier aspect important de la question réside en ce que l’ésotérisme peut être défini soit sous son aspect doctrinal, soit sous son aspect méthodique, le premier concernant la Vérité perçue par l’intelligence, le second la Voie vécue par l’âme et la volonté. Dans son expression doctrinale la plus directe, l’ésotérisme est un discernement fondamental entre la Réalité absolue et infinie et les réalités relatives. La Réalité absolue est désignée par Schuon comme le Sur-Etre [3] “situé” au delà de toute détermination et de tout relation, n’ayant ainsi à proprement parler aucun rapport direct avec la Création comme telle. Considérée dans sa dimension d’infinitude — car l’Absolu est par définition métaphysiquement illimité, toute limite le relativisant en quelque sorte — elle est le Principe de détermination et de manifestation de toutes réalités, la Toute-Possibilité, qui rend possible et même “nécessaire” la Création. Il n’y a qu’une Réalité, ce que signifie que la Réalité Seule est, et que toute réalité n'”est” qu’en vertu de sa “participation” à la Réalité: ce sont là les deux faces exclusive et inclusive de la Vérité. Tel est l’ésotérisme ramené à sa doctrine essentielle, qui n’est autre que la doctrine universelle de l’Unité — at-tawhîdu wâhidun — et que toute sagesse et toute religion exprime de façon plus ou moins directe dans le cadre du langage formel qui lui est propre. [4] La notion de Sur-Etre est étroitement liée, dans la perspective ésotérique, à celle de Mâyâ. Cette dernière peut être définie comme la Relativité universelle, ce qui signifie qu’elle embrasse toute l’étendue de la réalité depuis le Créateur à son sommet –pour autant qu’Il est par définition “relatif” à Sa Création et donc seulement “relativement absolu”– jusqu’aux manifestations physiques les plus accidentelles. En outre, ces deux concepts, méconnus ou rejetés par l’exotérisme, présupposent la réalité à la fois ontologique et épistémologique de l’Intellect, car seul l’Intellect transpersonnel transcende la relation entre Dieu et l’homme dans la mesure où il s’identifie essentiellement avec le Divin Sujet lui-même, Atman.
Opérativement ou méthodiquement, l’ésotérisme est défini par Frithjof Schuon comme concentration la plus intégrale sur la Réalité Une: “L’unicité de l’Objet entraîne la totalité du sujet.” Les modes de cette concentration, qui est en même temps intériorisation et assimilation, varient dans leurs composantes sacramentelles et “techniques”, mais elles reviennent toutes à réveiller et approfondir la conscience ou le “souvenir” (par la méditation, la contemplation, l’invocation, l’oraison) de la Réalité.
Du fait de son essentialité, l’ésotérisme est-il indépendant de la religion à l’intérieur de laquelle il se manifeste? A cette question, la réponse d’un lecteur conséquent de Frithjof Schuon ne peut être qu’un non initial sur lequel doit pourtant prévaloir en définitive un oui sans appel. [5]
Certes, dans la perspective ésotérique et gnostique définie par Frithjof Schuon, Révélation, Religion et Tradition constituent des cadres fondamentaux et nécessaires de la Voie spirituelle, et ce en deux sens au moins: premièrement, en tant que réalités “surnaturelles objectives” et, comme telles, permettant l’éveil ou l’actualisation de la réalité “surnaturelle subjective” qu’est l’Intellect; deuxièmement, en tant que symboles sacrés et rites qui opèrent à la fois comme garanties spirituelles, protections et moyens de salut et de délivrance issus de Dieu. En ce qui concerne le premier de ces aspects, la nécessité de l’upaya (le “mirage salvateur” de la religion), ou du système formel de la Tradition, demeure toutefois “accidentelle” et non “essentielle”, ce qui signifie que l’Intellect en état d’éveil, tout comme le sanatana dharma ou la religio perennis en tant que langage de l’Intellect, est indépendant des éventuelles “objections extrinsèques” du cadre exotérique de la tradition. [6] Cela signifie également, sous le second rapport, que la compréhension ésotérique des symboles sacrés et la pratique ésotérique des rites peuvent entraîner la réduction de ces supports nécessaires à leurs formes essentielles — qui sont, comme telles, les véhicules les plus directs de la religio perennis — et en particulier à leur noyau sacramentel, ou à leur quintessence, la définition de cette dernière pouvant dépendre des circonstances ou du contexte. En d’autres termes, si la Loi est sacrée et ne peut être traitée à la légère sous prétexte d’ésotérisme, il n’en demeure pas moins que la perspective quintessentiellement ésotérique conduit à une compréhension du cadre exotérique et à une pratique de ses formes qui peuvent — ou même doivent — réduire sa complexité formelle à un certain degré de simplicité essentielle et intérieure. Ce principe conduit un ésotériste traditionaliste comme Titus Burckhardt à écrire qu’un vrai maître “réduira en fait certainement la forme traditionnelle à ses éléments essentiels”. [7] Ce faisant, l’ésotérisme ne prend pas comme point de départ la littéralité de la Loi formelle pour y adapter et y mouler tant bien que mal sa perspective, [8] il se déploie plutôt à partir d’une contemplation de la nature des choses et de la finalité de la Loi afin de vivre cette dernière comme un cadre protecteur et un support de contemplation.
De par sa nature même, profonde et parfois subtile, l’ésotérisme peut donner lieu à des mésinterprétations et à des abus. Frithjof Schuon n’a jamais manqué de faire allusion à la précarité de ses manifestations. [9] Cette précarité est principalement fonction de la subtilité de la perspective ésotérique concernant les relations entre forme et essence: la forme “est” et “n’est pas” l’essence. La forme prolonge l’essence mais elle peut aussi la voiler. L’essence transcende la forme mais elle se “manifeste” également à travers la forme. En tout état de cause, la possibilité d’abus ou d’incompréhensions ne saurait de toute évidence remettre en question la légitimité et la nécessité de l’ésotérisme, pas plus que les abus du formalisme littéraliste et du fanatisme n’invalident la religion en tant que voie sacrée. Les réactions subjectives ou d’opportunité à tel ou tel abus réel ou imaginaire ne peuvent rien contre la réalité objective de la gnose ni contre son indépendance intrinsèque par rapport à la religion formelle. Prétendre que l’ésotérisme quintessentiel constitue une perspective dangereuse, sous prétexte qu’il négligerait de prendre en compte les limites du contexte humain de sa manifestation, constitue soit un truisme, en l’absence de qualifications préalables à sa compréhension et à sa pratique, soit une négation de la possibilité même de la manifestation de l’Esprit puisque, de toutes façons, “la Lumière a lui dans les ténèbres et les ténèbres ne L’ont point comprise.” [10]
En ce qui concerne la relation entre ésotérisme et exotérisme, Frithjof Schuon a maintes fois affirmé que cette dernière peut être envisagée de deux points-de-vue: celui de la continuité, selon lequel l’ésotérisme apparaît comme la dimension intérieure de la tradition, et celui de la discontinuité, selon lequel l’ésotérisme transcende l’exotérisme et peut même éventuellement se situer dans un rapport d’opposition par rapport au second. “Si tu veux le noyau, tu dois briser l’écorce”, selon une formule de Maître Eckhart souvent citée par Schuon. [11] L’exotérisme en tant que support formel est le cadre de manifestation quasi-obligé de l’ésotérisme, lequel se greffe sur lui comme le gui sur le chêne, ou bien tombe du ciel comme la pluie, ou bien encore souffle où il veut comme le vent, [12] mais la perspective exotérique, en tant qu’elle est solidaire d’un mode de piété volontariste et individualiste et d’une identification émotive — ou pire politique — avec telle tradition, ne peut être véritablement et intégralement compatible avec l’ésotérisme plénier [13] au sens où Frithjof Schuon, — dans la continuité de René Guénon, l’a défini.
Frithjof Schuon s’est plusieurs fois référé à la seule et unique Religion “sous-jacente”, la Religio Perennis. Il ne s’agit pas d’en déduire, de toute évidence, que la Religio Perennis constituerait une “nouvelle” religion dotée de nouveaux rites et de nouveaux moyens de salut car la Religio Perennis, étant essentielle et primordiale par définition, n’a certainement rien de “nouveau”. Elle ne peut par ailleurs “s’extérioriser” en tant que religion particulière, c’est-à-dire en tant que système formel exclusif, sans contredire sa propre nature. Elle peut cependant intégrer des formes reçues par inspiration verticale, ou empruntées à tel contexte traditionnel étranger, mais qui n’ont aucune relation formelle directe avec le cadre traditionnel dont elle a pu faire sa demeure, de la même manière que l’histoire du mysticisme nous présente de multiples exemples de formes inspirées par le Ciel ou empruntées à une ambiance culturelle donnée pour devenir des véhicules cérémoniels ou rituels porteurs de bénédiction spirituelle; y a-t-il par exemple rien de plus différent, formellement parlant, de l’exotérisme islamique que la danse des derviches Mevlevi? Quoi qu’il en soit, la profondeur et l’essentialité de l’ésotérisme peut donner lieu à des manifestations spirituelles et formelles d’un caractère exceptionnel qui sont la marque de sa nature transcendante et qu’on se doit donc d’accueillir avec respect et gratitude. Cette sorte d’istithnâ spirituelle (une “exception” à la “syntaxe traditionnelle” pourrait-on dire) apporte avec elle le “choc” d’un don qui est pour ainsi dire directement offert par le Ciel et qui défie donc les préjugés trop humains et les conventions confortables. De tels dons sont aussi sans aucun doute en rapport avec le fait que la nature de la maîtrise ésotérique plénière s’apparente à la prophétie, mais sur un mode de toute évidence non-légiférant. [14]
On a pu opposer à la notion d’ésotérisme quintessentiel le fait que les limites de la créature humaine rendent impossible une perception directe de l’essence et ne peuvent donner lieu qu’à une perception obscure de celle-ci par “présence sémantique.” [15] Cet argument d’ordre philosophique vise à établir que l’ésotérisme pur ne serait jamais que l’horizon sémantique d’une intuition toujours tributaire des formes révélées, et particulièrement de la tradition qui est la nôtre.
Sur ce point, il convient tout d’abord de distinguer l’Intellect universel et les limites de l’individualité humaine, car l’on ne “connaît” Dieu que par Dieu, ce qui revient à dire que c’est Dieu seul qui, à un degré ou à un autre, se connaît à travers l’homme et la Création. Cela ne signifie pas que l’ésotérisme “pur” ne soit en définitive identifiable qu’à Dieu Lui-même; l’ésotérisme n’est ni un “sujet” ni un “objet” mais une perspective [16] rendant compte de l’adéquation entre ces deux termes; c’est la perspective de l’Intellect et de la nature des choses. Sans cette perspective, la religion devient elle-même inintelligible, en ce sens qu’il n’y aurait point compréhension de “ce dont nous parle” telle religion sans “intuition décisive” [17] de la Religion comme telle. Le mot à mot religieux serait en lui-même inefficace en l’absence du “ressouvenir” qui relève, le plus souvent obscurément et partiellement, de l’Intellect. En conséquence, la perspective ésotérique n’est pas réductible à une compréhension conceptuelle puisqu’elle est essentiellement une conformité intellective et “existentielle” à la Réalité, [18] ou une assimilation spirituelle et morale de la nature des choses. Comme l’a souvent rappelé Frithjof Schuon, connaître c’est être. L’ésotérisme vécu est, en son sommet, la sagesse en laquelle être et connaître coïncident. C’est la raison pour laquelle, sur le plan de son exposition doctrinale, l’ésotérisme pur ou “absolu” ne saurait être limité par les expressions conceptuelles qui rendent compte de sa réalité.
Dans son essence, l’ésotérisme a souvent été défini par Frithjof Schuon comme tendant à une parfaite objectivité; [19] cette objectivité qu’il a aussi définie comme une conformité à la nature des choses. Tout en restant parfaitement attentif à la richesse spirituelle de la tradition, de la morale en tant que beauté de l’âme — plutot que moralisme a tendances volontaristes — et des règles de conduite sociales — sans concession pourtant aux étroitesses conventionnelles — pour autant qu’elles constituent des véhicules ou des approximations formelles du Vrai, du Beau et du Bien, l’ésotérisme comprend et traite les phénomènes en considérant au premier chef leur signification intrinsèque ou leur archétype. L’ésotérisme peut ainsi se laisser définir en définitive comme la science des intentions fondamentales du Réel.
Notes
[1] Hâtons-nous de préciser que nous ne partageons pas l’opinion selon laquelle l’héritage direct de Schuon serait à présent divisé entre deux “camps”, l’un désigné comme “traditionaliste” et l’autre comme “primordialiste.” De telles alarmantes simplifications sont sans doute motivées par de respectables intentions de clarté intellectuelle et par un louable zèle pour la Maison du Seigneur, mais la réalité nous semble beaucoup plus nuancée et moins schizomorphe qu’il ne peut sembler à certains. Nous préférerions de beaucoup parler de deux “pôles” ou de deux “accentuations” qui ne sont d’ailleurs pas mutuellement exclusives en soi. Nous n’avons pas connaissance de “primordialistes” désireux de faire l’économie du cadre traditionnel en ce qu’il a d’essentiel, et nous ne sommes pas conscients de l’existence de “traditionalistes” tentés par l’idée de rejeter l’idée d’un cœur ésotérique et universel commun à toutes les religions.
[2] “Toute doctrine traditionnelle a un aspect de système et un aspect d’indétermination; ce dernier se manifeste par la variété des perspectives orthodoxes, donc aussi par la pluralité de systèmes, celle-ci pouvant du reste apparaître chez un même auteur, dans l’ésotérisme surtout.” Les stations de la sagesse, Paris, 1992, p.37.
[3] Schuon ne reprend pas sur ce point la terminologie guénonienne qui envisageait le Principe suprême comme “Non-Etre”. Ce terme lui paraît inapproprié dans la mesure où il place l’accent sur la “négativité” de l’Absolu, alors que cette dernière n’a de sens que par rapport aux limitations de la relativité, et non en soi. On a parfois reproché à Schuon de privilégier une expression métaphysique de type cataphatique, au point d’exclure pratiquement — selon ces mêmes critiques — l’expression apophatique. On va jusqu’à voir dans cette pente cataphatique de sa pensée une sorte d’impérialisme conceptuel. Il est vrai que la doctrine métaphysique exprimée par Schuon privilégie la voie affirmative en vertu d’une accentuation du principe d’adéquation de l’Intellect et de la Parole avec la Réalité. Or, on ne doit point s’en étonner, dans la mesure où une telle perspective est au fond normative par rapport aux possibilités “surnaturellement naturelles” des facultés humaines. D’autre part, Schuon s’est toujours considéré comme l’Européen qu’il était — et ce en dépit des déviations de l’Europe post-médiévale — et son expression n’est donc principalement ni symbolique ni apophatique comme celle des Asiatiques: elle privilégie le concept en tant qu’expression des vérités immanentes au Logos. Il est également indéniable que cette accentuation correspond à un très vif besoin dans le monde contemporain dans lequel l’affirmation doctrinale et l’expérience spirituelle tendent à être dangereusement dissociées, soit par excès intellectualiste soit par empirisme spirituel sans filets. Il importait de mettre l’accent sur le rôle positif des concepts et du langage, et ce afin de parer à toute dérive “informelle”, pseudo-mystique ou sentimentale de l’ésotérisme. Il convient cependant d’ajouter que les écrits de Schuon font toujours référence aux limites de l’expression cataphatique et à la distance qui sépare tout système conceptuel de la Réalité. La doctrine n’est jamais pour lui qu’un ensemble de points de repère en vue de la réalisation qui transcende toute limitation conceptuelle.
[4] “(…) L’ésotérisme en soi est la métaphysique tout court, à laquelle se joint nécessairement une méthode de réalisation appropriée; l’ésotérisme de telle religion — de tel exotérisme précisément — s’adapte au contraire à cette religion et entre par là dans des méandres théologiques, psychologiques et légalistes étrangers à sa nature, tout en conservant en son centre secret son caractère authentique et plénier, sans quoi il ne serait pas ce qu’il est.” Résumé de métaphysique intégrale, Paris, 1985,pp.73-4.
[5] “(…) ce noyau [le noyau ésotérique] n’est d’ailleurs nullement une partie, même intérieure, de l’exotérisme, mais représente au contraire une dimension quasi-indépendante par rapport à ce dernier.” De l’unité transcendante des religions, Paris, 1979, p.25.
[6] “Le ‘surnaturel subjectif’ a besoin — ‘accidentellement’ et non ‘essentiellement’— du surnaturel ‘objectif’, mais dès qu’il est ainsi ‘réveillé à lui-même’ par ce qui lui correspond en dehors de nous, aucune objection extrinsèque ne peut plus le concerner.” Sentiers de gnose, Gaillac, 1996, p.35.
[7] “A master whose spiritual outlook is limited by a particular formal or traditional framework is not a complete master (although a true master may in practice be unfamiliar with traditions other than his own); and a master who rejects all forms is a false master (although a true master may reduce traditional form to its essential elements, and he surely will.)” Titus Burckhardt, “A Letter on Spiritual Method”, Mirror of the Intellect, Albany, 1990, p.252.
[8]”Nous pourrions dire, en simplifiant les choses, que l’exotérisme met la forme — le credo — au-dessus de l’essence — la Vérité universelle — et n’accepte celle-ci qu’en fonction de celle-là; la forme, par son origine divine, est ici le critère de l’essence. Bien au contraire, l’ésotérisme met l’essence au-dessus de la forme et n’accepte celle-ci qu’en fonction de celle-là; pour lui, et selon la hiérarchie réelle des valeurs, l’essence est le critère de la forme; la Vérité une et universelle contrôle les diverses formes religieuses de la Vérité.” L’ésotérisme comme principe et comme voie, Paris, 1978, p.36.
[9] “Le paradoxe de l’ésotérisme, c’est que d’une part ‘personne n’allume une lampe pour la mettre sous le boisseau’, et que d’autre part ‘ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré’; entre les deux images se situe ‘la lumière qui brille dans les ténèbres, mais que les ténèbres n’ont pas comprise.’ Il y a là des fluctuations que nul ne peut empêcher et qui sont la rançon de la contingence.” L’ésotérisme comme principe et comme voie, Paris, 1978, p.19.
[10] Lorsqu’on parle d’ésotérisme, les multiples précautions qui pourraient être suscitées par toutes les possibilités d’incompréhension et de distorsion devraient aussi bien nous contraindre au silence. On oublie trop facilement que l’ésotérisme ne s’adresse pas à tous. Il n’a aucun raison intrinsèque d’adapter sa perspective et son langage au plus plus commun dénominateur exotérique; ceci dit sans aucun prétention élitiste car la sainteté n’est le privilège d’aucune perspective ni d’aucun groupe humain.
[11] “‘L’Esprit souffle où il veut’; et, en raison de son universalité, Il brise la forme; cependant, Il est obligé de s’en revêtir sur le plan formel.” De l’unité transcendante des religions, Paris, 1979, p.49.
[12] “L’ésotérisme, en effet, n’est point une doctrine imprévisible qu’on ne peut découvrir, éventuellement, qu’après de minutieuses recherches; ce qui est mystérieux en lui, c’est sa dimension de profondeur, ses développements particuliers et ses conséquences pratiques, non ses points de départ, lesquels coïncident avec les symboles fondamentaux de la religion envisagée; en outre, sa continuité n’est pas exclusivement ‘horizontale’ comme celle de l’exotérisme’, elle est également ‘verticale'(…) L’ésotérisme comme principe et comme voie, Paris, 1978, p.146.
[13] Dans ce contexte, il peut être utile de rappeler que la première étape du discernement implique une conscience de la distance spirituelle séparant le maître du disciple. Le discernement du disciple se manifeste a priori dans son abandon au maître en tout ce qui touche à la vie spirituelle car, selon Ghazali: “The disciple must cling to his shaikh as a blind man on the edge of a river clings to his leader, confiding himself to him entirely, opposing him in no matter whatsoever, and binding himself to follow him absolutely. Let him know that the advantage he gains from the error of his shaikh, if he should err, is greater than the advantage he gains from his own rightness, if he should be right.” (cité in H.A.R. Gibb, Mohammedanism, New York, 1955, p.117.) En outre, il convient de garder présent à l’esprit qu’il est difficile, sinon impossible, au disciple de déterminer la signification intérieure du comportement extérieur de son maître, étant donné que “la trace éthique d’un degré spirituel est d’autant plus subtile que ce degré est plus élevé et que l’incommensurabilité de la Réalité contemplée avec le réceptacle humain devient plus profonde.” Titus Burckhardt, Introduction aux doctrines ésotériques de l’Islam, Paris, 1969, p.120.
[14] “(…) la maîtrise ésotérique s’apparente à la prophétie, sans sortir pour autant du cadre de la religion-mère.” L’ésotérisme comme principe et comme voie, p.146.
[15] Jean Borella, Esotérisme guénonien et mystère chrétien, Lausanne-Paris,1997, p.50.
[16] “(…) l’ésotérisme n’est pas seulement dans le choix des idées, mais dans la manière d’envisager les choses.” L’ésotérisme comme principe et comme voie, p.9. C’est là le sens de la distinction schuonienne entre les aspects et lespoints de vue.
[17] “(…) l’intuition décisive a pour objet, non les limitations extrinsèques des religions — non les suraccentuations, étroitesses et ostracismes — mais leurs vérités intrinsèques et par là universelles.(…) Approches du phénomène religieux, Paris, 1984, p.16.
[18] “Pour en revenir à ce que nous disions de la compréhension des idées, nous pourrions comparer une notion théorique à la vision d’un objet: de même que cette vision ne révèle pas tous les aspects possibles, c’est-à-dire en somme la nature intégrale de l’objet dont la parfaite connaissance ne serait autre que l’identité avec lui, de même une notion théorique ne répond pas elle-même à la vérité intégrale dont elle ne suggère forcément qu’un aspect, essentiel ou non; (…) quant à la conception spéculative, donc intellectuellement illimitée, elle serait ici comparable à l’ensemble indéfini des différentes visions de l’objet envisagé, visions qui présupposeraient la faculté de déplacement ou de changement de point de vue du sujet, donc un certain mode d’identité avec les dimensions de l’espace qui, elles, révèlent précisément la nature intégrale de l’objet, du moins sous le rapport de la forme qui seule est en cause dans notre exemple.” De l’unité transcendante des religions, pp.18-19.
[19] “Or l’ésotérisme, par ses interprétations, ses révélations et ses opérations intériorisantes et essentialisantes, tend à réaliser l’objectivité pure ou directe; c’est là sa raison d’être.” L’ésotérisme comme principe et comme voie, p.15.