La Beauté est la splendeur du Vrai
par Michael Pollack
Frithjof Schuon n’était pas un peintre intéressé à la métaphysique, il était un métaphysicien qui, de temps à autre, s’adonna à la peinture. Cette distinction est essentielle, sa vocation fondamentale ayant été la «sagesse pérenne», telle qu’il l’a exposée dans son œuvre écrite, alors que son art apparaît plutôt comme une expression de la dimension esthétique, psychologique ou morale de la Philosophia Perennis. En d’autres termes, Schuon ne s’intéressait pas seulement aux principes métaphysiques, mais aussi, par voie de conséquence, à leur rayonnement cosmique et humain, et au lieu de décider à l’avance quels symboles ou quelles évocations archétypiques il voulait peindre, c’est spontanément, par sa pénétration spirituelle et son esprit contemplatif, qu’a jailli un ensemble profondément symbolique et intériorisant.
Les principaux thèmes de son art sont, d’une part, le monde des Indiens des Plaines et, d’autre part, le mystère de la Féminité cosmique et humaine, — l’«Éternel Féminin» de Goethe (das Ewig-Weibliche) ou la Shakti hindoue. Son choix pour le premier thème découle de son affinité pour le monde fascinant des Peaux-Rouges empreint d’héroïsme et de mystique; quant au second sujet — la féminité sacrée —, son choix trouve son fondement dans la métaphysique et la cosmologie; on pourrait dire aussi, de façon plus relative, dans son affinité pour l’hindouisme.
Il est évident que Schuon ne portait aucun intérêt à l’originalité ou à l’innovation; seul le thème l’intéressait, dont les racines remontent, suivant les cas, à son observation du peuple indien ou à une vision intérieure de réalités spirituelles. Quant au style, il a adopté les règles générales de la peinture traditionnelle, le premier principe exigeant du peintre qu’il tienne compte de la planéité et de l’immobilité de la surface; il ne doit pas vouloir représenter l’espace tridimensionnel ni un mouvement trop accidentel donc fragmentaire. Schuon aimait à répéter ses sujets, tant il était intéressé, voire fasciné, par eux; il serait hors de propos de lui reprocher cette sorte de “monotonie”, la répétition de motifs fondamentaux étant propre à tout art traditionnel, permettant ainsi le déploiement de l’ensemble de leurs potentialités.
Quand fut abordée la question de publier un recueil complet de ses peintures, Frithjof Schuon fut plutôt réticent, car il craignait qu’une telle publication ne porte atteinte à l’image de son identité intellectuelle et spirituelle; car, répétons-le, son message est essentiellement spirituel et non artistique. Toutefois, comme son art recèle aussi à sa façon un message spirituel, — son message doctrinal trouvant dans son art une expression de transparence spirituelle, — il accorda finalement son autorisation. Le résultat fut la publication en 1993 de Images of Primordial and Mystic Beauty.
Rappelons que la signification fondamentale du message artistique de Schuon est la présence du sacré dans toute beauté. Comme il l’écrit dans une lettre allemande: «Ce que je cherche à exprimer dans mes peintures, — et je ne peux en fait rien exprimer d’autre, — c’est le Sacré associé à la Beauté. Donc des attitudes spirituelles et des vertus de l’âme. Et le rayonnement qui émane des peintures doit mener vers l’intérieur.»
Comme l’a enseigné Platon: «La Beauté est la splendeur du Vrai.»
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Adapté de l’Introduction de Michael Pollack dans
Images of Primordial and Mystic Beauty (Abodes, 1992)
Vers l’intérieur
par Barbara Perry
… Les œuvres artistiques de Frithjof Schuon sont des peintures à l’huile, dont la hauteur et la largeur dépassent rarement 60 cm. D’un point de vue stylistique, ils combinent les règles traditionnelles de l’art pictural avec la technique de la peinture occidentale. Bien que traditionaliste dans le respect de certains principes élémentaires, Schuon ne se limite ni au style des icônes ni à celui de l’art oriental.
Les règles traditionnelles auxquelles il vient d’être fait allusion sont les suivantes: éviter une stricte observance des lois de la perspective et n’utiliser ni raccourci ni ombres, les ombres étant toutefois permises dans la mesure où le relief des visages et des corps peut l’exiger, comme le démontrent diverses icônes. Le fait que Schuon combine ces règles avec une certaine rigueur intellectuelle d’une part et une observation adéquate de la nature d’autre part, donne à ses tableaux une originalité puissante et une expressivité exceptionnelle. Bref, il combine les aspects positifs de l’art occidental avec la rigueur et le symbolisme de la peinture murale égyptienne ou de la miniature hindoue. Peut-être pourrait-on dire que l’œuvre artistique de Schuon, quant à ses aspects techniques, se situe quelque part entre la miniature hindoue et l’expressionnisme, tout en émanant un certain parfum provenant d’une influence de l’art Japonais.
Le côté artistique, chez Schuon, relève d’une conscience du symbolisme universel; car Dieu manifeste Ses Qualités par la beauté. Il y a la beauté de la nature vierge, celle de l’homme et celle de l’art; l’art authentique et légitime a toujours quelque chose de sacré en lui, que ce soit directement ou indirectement.
L’homme vit de Vérité et de Beauté; Schuon écrit des livres et peint des tableaux. Ses livres expriment la doctrine métaphysique dans laquelle tous les systèmes religieux et toutes les méthodes spirituelles ont leur origine; il s’inscrit ainsi dans la perspective de la Philosophia Perennis. Dans ses peintures, l’intention de Schuon est d’exprimer des vérités intérieures, et il le fait d’une manière assez simple, spontanée et naturelle, et sans aucune affectation de symbolisme didactique. Fondamentalement, ce qu’il dépeint, ce sont des réalités supérieures vécues par l’intermédiaire de sa propre âme, et il le fait au moyen de portraits humains et de scènes tirées, pour la plupart, de la vie des Indiens des Plaines. Mais il a également peint un certain nombre de tableaux de la Vierge-Mère, non pas dans le style des icônes chrétiennes mais sous la forme de la Sulamite biblique ou de la Shakti hindoue.
Une grande partie des connaissances intellectuelles de Schuon peut être expliquée en termes de son extraordinaire intuition esthétique. Il lui suffit de voir — dans un musée par exemple — un objet d’une civilisation traditionnelle, pour pouvoir percevoir, par une sorte de «réaction en chaîne», tout un ensemble de principes intellectuels, spirituels et psychologiques qui opèrent à l’intérieur de ce monde. Un point important de sa doctrine est que la beauté n’est pas affaire de goût, donc d’appréciation subjective, mais qu’au contraire elle est une réalité objective et donc obligatoire; le droit de l’homme à l’affinité personnelle — ou au «choix personnel», si l’on veut — est tout à fait indépendant de la discrimination esthétique, c’est-à-dire de la compréhension des formes.
Schuon a écrit dans l’une de ses lettres: «Ce que je cherche à exprimer dans mes peintures — et en fait je ne peux rien exprimer d’autre — c’est le Sacré combiné avec la Beauté, donc, les attitudes spirituelles et les vertus de l’âme. Et la vibration qui émane des peintures doit conduire vers l’intérieur.»
Extrait de “Frithjof Schuon: Metaphysician and Artist”,
par Barbara Perry, préface du livre intitulé
The Feathered Sun: Plains Indians in Art and Philosophy,
World Wisdom, 1990.
Tous droits réservés pour les textes et images de Frithjof Schuon.
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