Si tout homme possédait l’intellect, non seulement à l’état fragmentaire ou virtuel, mais comme faculté pleinement épanouie, il n’y aurait pas de Révélation, puisque l’intellection totale serait chose naturelle ; mais comme il n’en est plus ainsi depuis la fin de l’âge d’or, la Révélation est, non seulement nécessaire, mais même normative à l’égard de l’intellection particulière, ou plutôt à l’égard de l’expression formelle de celle-ci.

Il n’y a pas d’intellectualité possible en dehors d’un langage révélé, d’une tradition scripturaire ou orale, bien que l’intellection puisse se produire, comme un miracle isolé, partout où la faculté intellective existe ; mais une intellection extra-traditionnelle n’aura ni autorité, ni efficacité.

L’intellection a besoin de causes occasionnelles pour prendre pleinement conscience d’elle-même et pour pouvoir s’exercer sans entraves, en sorte que dans un milieu pratiquement dépourvu de Révélation – ou oublieux des significations sapientielles de la Parole révélée – l’intellectualité n’existe en général qu’à l’état latent ; même là où elle s’affirme encore malgré tout, les vérités perçues sont rendues inopérantes par leur caractère trop fragmentaire et par le chaos mental qui les encadre.

La Révélation est pour l’intellect comme un principe d’actualisation, d’expression et de contrôle ; la « lettre » révélée est pratiquement indispensable dans la vie intellectuelle.

Schuon, Les stations de la sagesse, L’Harmattan, 2011, p. 55.